Quelle est la place de la masculinité dans la lutte féministe ? De plus en plus de femmes, rejointes par de plus en plus d’hommes, se battent pour cesser de subir une certaine pression de la part de la société et trouver un équilibre dans leurs relations humaines et professionnelles. Qu’on parle de féminisme, d’équité, d’égalité, d’empowerment, de justice… la cause reste la même. Les idées de « féminité », « vraie femme », « place attribuée aux femmes » sont remises en question.
Si le débat sur les genres fait rage depuis un moment, on parle pourtant assez peu de masculinité, de la pression qui peut peser sur les hommes, et des implications qu’elles peuvent avoir… également sur la condition de la femme !
« Féminité », « Masculinité », deux termes qui sous-entendent que si vous ne cochez pas toutes les cases d’une liste imposée par la société dans laquelle vous vivez, vous n’êtes pas « une vraie femme » ou « un homme, un vrai ».
L’opinion publique semble dérangée par l’idée de voir des femmes fortes, indépendantes, émancipées sexuellement, qui n’ont pas nécessairement d’instinct maternel, ne cherchent pas à tout prix l’amour, ne sont pas romantiques, détachées, ambitieuses, qui réussissent, qui se foutent de leur apparence… de la même façon que par des hommes qui montreraient leurs émotions, pleureraient, trouveraient leur satisfaction sexuelle ailleurs que dans un coït vite-fait-mal-fait, voire ne seraient pas obsédés par la chose, ne voudraient pas faire carrière, souhaiteraient passer beaucoup de temps avec leurs enfants, romantiques, passifs, ayant besoin de soutien et de réconfort…
Une pression de genre moins difficile à gérer ?
Si ces diktats de la masculinité font si peu parler d’eux, c’est peut-être parce qu’ils semblent moins contraignants à porter que ceux imposés aux femmes. Aux hommes, on demandera de se montrer fort, de cacher leurs émotions, de prendre de la bouteille, d’être actif, d’écraser les autres, de parler plus haut que tout le monde, de laisser pousser ses poils et de ne pas trop s’apprêter. Bref, on exige des hommes qu’ils soient les dominants de l’espèce. Aux femmes, on demande de ne pas se faire remarquer, de passer un temps incommensurable à penser à leur physique, d’être passives, fragiles, de faire les tâches ménagères et de s’occuper des enfants, de rester jeunes pour toujours -des cheveux au vagin-, de pardonner, de soutenir, de soigner et d’accepter. On comprend assez facilement qu’un moitié de la population soit très motivée à se battre pour faire changer les choses, là, maintenant. D’être le sexe faible, passif et docile.
(…) le genre est porteur d’une logique selon laquelle les hommes sont reconnus comme des hommes par ce qu’ils font, tandis que les femmes sont reconnues comme des femmes pour ce qu’elles sont.
Déconstruire la crise de la masculinité
Que l’on s’entende bien : le coût de la domination pour la classe dominante n’est bien sûr pas le même que pour la classe dominée… Mais ce coût existe tout de même : il est à la fois subjectif (les hommes qui adoptent certains comportement et attitudes pourront être stigmatisés, moqués, perçus comme « non-hommes », ils devront pas exemple ne pas pleurer, ne pas avoir peur, ne pas avoir mal, être hétérosexuels, avoir un palmarès de conquêtes sexuelles fourni, une carrière qui claque…) et objectif (les accidents de la route, les suicides, les comportements violents et les homicides seraient plus nombreux chez les hommes).
Les hommes et la masculinité : on ne naît pas homme, on le devient (Madmoizelle)
Pourtant, cette position dominante, qui semble confortable, est-elle vraiment bénéfique pour les hommes, et quelles sont ses incidences sur la condition des femmes ?
Dans son essai King Kong Théorie, souvent qualifié d’ouvrage féministe de référence, Virginie Despentes (2006) parle beaucoup également de la condition de l’homme, et de la pression qui pèse sur lui. Pourquoi amener ce sujet dans un livre qui parle de femmes ? Parce que Virginie Despentes décrie la pression qui existe quant aux genres, qui doivent rentrer dans des moules bien définis. Plus concrètement, elle soulève la frustration que les hommes peuvent expérimenter au quotidien, pression qui se traduira chez certains par des comportements violents sur leur compagne, chez d’autres par l’adultère, un manque de respect envers les femme en général…
Pour Pascale Molinier, si les hommes ne sont pas les seuls à plaindre, « il ne s’agira pas [toutefois] de nier leurs difficultés. Dans le camp santé mentale/travail, les manifestations de la souffrance masculine sont bruyantes et inquiétantes. […] Quand les hommes craquent, c’est souvent dans la violence contre autrui ou dans la violence retournée contre soi-même, souvent brutalement et sans faillir. ».
Les hommes et la masculinité : on ne naît pas homme, on le devient (Madmoizelle)
Les grands garçons ne pleurent pas
Parmi ces attentes peut-être moins difficiles à combler et à porter, la contrainte pour les hommes de ne pas pouvoir être émotifs, voire de ne pas pouvoir être émotionnels. Or, les émotions font partie de tout être humain. On exige donc des hommes qu’ils refoulent ce qu’ils ressentent : ne pas pleurer, ne pas dire ce qu’on a sur le cœur, ne pas se montrer vulnérable, ne pas douter, ne pas se confier, amenuiser ses sentiments… On leur enlève une partie d’eux-mêmes. C’est certainement là une autre raison pour laquelle la question de la pression qui pèse sur les hommes ne fait pas l’objet de beaucoup de discussions : combien d’hommes la subissent sans oser en parler ou sans vouloir en parler, car ce n’est pas le « comportement d’un vrai mec« .
Dans une culture masculiniste, les hommes sont élevés pour être forts, virils, et non-émotifs. Le résultat est catastrophique, puisque plus quelqu’un fait taire ses sentiments et émotions, plus il devient violent : envers lui-même (comportements destructeurs*), envers ses pairs (bagarres entre hommes, actes criminels) et envers ses compagnes.gnons (viols, agressions sexuelles, violence conjugale physique ou morale…).
Pire, à mesure que les femmes prétendent au pouvoir, s’expriment publiquement, qu’elles tentent de se faire une place côte-à-côte avec leurs pairs masculins, les hommes élevés dans un état d’esprit masculiniste deviennent de plus en plus violents envers elles. L’égalité des sexes signifierait pour eux de perdre leur place de dominant, et donc leur statut de « vrai homme ». Conséquences : augmentation de la violence, dénigrement, moqueries publiques…
Une culture masculiniste entretient l’idée que les hommes ne peuvent pas se contrôler, qu’ils sont naturellement plus violents, qu’ils ont le droit de se comporter de la sorte puisque c’est naturel chez eux, alors que tout ceci est le résultat de l’éducation et de stéréotypes bien ancrés dans notre société. Il est temps de rendre aux hommes la pleine responsabilité de qui ils sont, mais aussi le choix conscient de qui ils veulent être.
La route est longue, car il est plus facile de continuer à tirer les « nouveaux membres du club » vers le bas, plutôt que d’attendre de tous les membres actuels du club qu’ils fassent un pas en avant vous le changement.
« La façon de se comporter et de traiter les autres que l’on attend de nous en tant qu’hommes n’est pas la meilleure façon de vivre notre vie ! »
Traduit du TEDx talk « Boys won’t be boys. Boys will be what we teach them to be. » Ben Hurst
(*) consommation de drogues et alcool plus élevée, taux de méfaits criminels et d’emprisonnement excessivement plus élevé, plus grand nombre d’accidents de voiture graves, implications dans des bagarres ou autres comportements violents, taux de suicide plus élevé…
Votre force, votre bravoure, votre rudesse : êtes-vous assez courageux pour être vulnérable ? Êtes-vous assez fort pour être sensible ? Être-vous assez confiant pour écouter les femmes dans votre vie ?
L’acteur Justin Baldoni (Jane The Virgin) dans le TEDx « Why I’m done trying to be ‘man enough' »
Pourquoi plaindre les hommes quand on connaît la situation des femmes encore aujourd’hui ?
Le féminisme est un combat qui me tient à cœur. Quand je soulève une question relative aux droits de la femme, j’introduis souvent mon article par le même genre de phrase : en résumé, « je sais que certains hommes sont aussi des victimes potentielles de (tel phénomène de société), mais les femmes le sont beaucoup plus ET nous sommes dans un monde d’hommes pour les hommes par les hommes donc pour une fois laissez-nous parler de nous ET si les femmes ne se battent pas pour les femmes personne ne le fera pour elles ».
Je ne suis pas en train de m’engager dans un combat pour libérer les hommes de cette pression, ce n’est pas mon combat. Mais ça n’est pas sans influence sur ma condition de femme, et sur celle de toutes les femmes du monde. Autant par respect pour les hommes, en tant qu’être humains, et que parce que ce phénomène n’est pas anodin dans notre combat féministe, j’ai choisi de ne pas participer à l’alimentation de cette pression sur la masculinité. C’est pourquoi j’ai voulu m’informer sur le sujet, pour prendre conscience de la situation, et que j’ai voulu partager mes réflexions et découvertes ici.
Finalement, c’est le minima qu’on demande à tous les hommes, et à touts les être humains sans regard pour leur genre d’ailleurs : cessez de vouloir faire rentrer les autres dans des cases, cessez d’imposer des standards aux autres, considérez tout le monde comme un être humain avant tout le reste.
Je suis pour un féminisme inclusif (comme beaucoup d’entre nous, malgré certaines idées reçues), il n’a jamais été question que les femmes fassent quoi que ce soit aux dépens des hommes. Au contraire, hommes et femmes peuvent grandir ensemble dans ce combat.
Pour ce faire, c’est notre rôle à tous de ne pas éduquer nos enfants de manière sexiste (le sexisme étant la différenciation sur base du sexe, quel qu’il soit), de ne pas participer à cette pression qui pèse sur les enfants et les adultes en fonction de leur sexe, de ne pas accepter les discussions et les comportements qui véhiculent des messages et actes sexistes.
Les diktats de la masculinité et de la féminités sont des complices : si l’un n’existe pas, l’autre non plus. Maintenir la pression sur un genre la maintient sur l’autre genre. A partir du moment où la masculinité ne s’exprime plus par la densité de la toison sur le torse d’un homme, quid de la féminité et du plus petit nombre de poils possible ? Si la masculinité ne se calcule plus sur le nombre de coïts avec des femmes différentes, exigera-t-on encore des femmes qu’elles soient les plus pures possible ? Dès qu’on ne considère plus qu’un « vrai homme » est un homme ambitieux, qui finit vieux-blanc-cisgenre-CEO-d’une-grosse-société-virile, n’accepterons-nous pas mieux qu’une femme mène sa barque dans le monde du travail jusqu’à obtenir un poste de direction ?
Littérature, émissions, blogs, articles, sur la masculinité
Livres
- King Kong Théorie, Viriginie Despentes (féminité/masculinité) ❤️❤️❤️
- Les couilles sur la table, Victoire Tuaillon ❤️❤️❤️
- Le mythe de la virilité, Olivia Gazalé
- Au-delà de la pénétration, Martin Page
- (qui pourrait être complété par Jouissance Club pour son côté « équité au pieu quel que soit ton genre »)
Podcasts et émissions
- Les couilles sur la table (podcast en plusieurs épisodes)
- Boys will be boys, Danny Blay (TEDx)
- Boys won’t be boys. Boys will be what we teach them to be. Ben Hurst (TEDx)
- Breaking the boys code of masculinity. Bill Pozzobon (TEDx)
- Why I’m done trying to be « man enough ». Justin Baldoni (TEDx)
- The mask I live in (Netflix)